8 personnes possèdent autant que la moitié la plus pauvre de l'humanité

RapportOxfam.pngOxfam a publié en janvier 2017 son rapport sur le fonctionnement de l'économie mondiale. Le titre du rapport n'y va pas par quatre chemins, il est clair et percutant :  « Une économie au service des 99 % » pour réclamer une inversion du système actuel qui ne profite qu'à 1% de la population mondiale. Ce rapport rendu public au moment de la rencontre de Davos montre que 8 personnes (oui, huit) possèdent à elles seules « autant de richesses que la moitié la plus pauvre de l’humanité ».
Le rapport illustre les moyens utilisés par les grandes entreprises et les individus les plus riches pour exacerber les inégalités, « en exploitant un système économique défaillant, en éludant l’impôt, en réduisant les salaires et en maximisant les revenus des actionnaires ». La notion de "système économique défaillant" utilisée par Oxfam me paraît contestable dans la mesure où, en fait, il est défaillant pour ceux qui n'en bénéficient pas mais il est parfaitement huilé pour favoriser les élites qui en tirent profit. Il s'agit donc d'un "système économique performant" du point de vue de ceux qui en actionnent les mécanismes.
« Nos économies concentrent les richesses aux mains d’une élite, aux dépens des couches les plus pauvres de la société qui sont majoritairement des femmes » - dit le communiqué. « Les plus fortunés accumulent ces richesses à un tel rythme que le premier « super-milliardaire » du monde pourrait voir son patrimoine dépasser le millier de milliards de dollars dans 25 ans à peine ».  Ce que montre ici Oxfam est ce qu'a constaté Thomas Piketty et son équipe, relayé par cet article du New York Times, qui s'alarme et s'indigne de la croissance exponentielle des revenus des 0,001% les plus riches des États-Unis.
« Les inégalités relèguent des centaines de millions de personnes dans la pauvreté » - dit Manon Aubry, porte-parole d’Oxfam France. Une pauvreté qui, comme le montre l'étude relayée par la revue scientifique Nature, agit comme un crime contre l'humanité.
Le communiqué précise que « le rapport s’appuie sur de nouvelles données plus précises sur la répartition des richesses dans le monde, en particulier en Inde et en Chine, qui indiquent que la moitié la plus pauvre de la population mondiale possède une part des richesses encore plus réduite. Sept personnes sur dix vivent dans un pays où les inégalités se sont accentuées au cours des trente dernières années. La France n’échappe pas à ce constat et ne marche plus vers l’égalité ».
En effet, concernant la France, Oxfam constate que 21 milliardaires disposent d'une richesse identique à la richesse cumulée des 40% les plus pauvres du pays et que « le niveau de vie mensuel moyen des plus riches a progressé de 272 euros de 2003 à 2014, celui des plus pauvres a diminué de 31 euros ». L'économie française agit comme Robin des Bois, mais à l'envers : elle prend aux pauvres pour donner aux riches.
Apple.pngDans les outils de ces transferts des pauvres vers les classes les plus aisées, « Oxfam dénonce la pression qui s’exerce sur les salaires partout dans le monde ». Exemples à l'appui Oxfam montre que les rémunérations des producteurs baissent depuis les années 80, alors que « à l’inverse, les actionnaires voient leurs rémunérations en constante croissance ». Mais d'autres outils sont à l'œuvre. « Les entreprises optimisent également leurs bénéfices, notamment en allégeant le plus possible leur charge fiscale, privant ainsi les États des ressources essentielles pour financer les politiques et les services nécessaires pour réduire les inégalités. Pour cela, elles recourent aux paradis fiscaux ou incitent les pays à proposer une fiscalité attrayante (allègements, exonérations et taux bas). Par exemple, le Kenya perd chaque année 1,1 milliard de dollars en exonérations fiscales accordées aux entreprises, soit près du double du budget de la santé, dans un pays où une femme sur 40 décède lors de l’accouchement. En 2014, en compétition pour attirer un investissement de Samsung, l’Indonésie a proposé une exemption d’impôt sur les sociétés pour 10 ans, tandis que le Vietnam offrait 15 ans. Cette course à la concurrence fiscale a entrainé une tendance à la baisse sans précédent des impôts  sur les sociétés : en 1990, le taux d’imposition légal moyen sur les sociétés au sein du G20 était de 40% ; en 2015, il n’était que de 28,7 %. La France n’est pas en reste puisqu’elle vient d’abaisser son taux d’imposition sur les sociétés de 33 % à 28 % et qu’elle continue de multiplier les crédits d’impôts aux entreprises, qui coûtent à l’Etat français plus de 83 milliards d’euros par an » - souligne le rapport.
Face à ce constat, Oxfam appelle à une réaction politique. « La France, pays des droits de l’Homme, se doit d’être exemplaire et d’amorcer ce changement de paradigme vers une économie centrée sur l’humain. Dans le cadre des prochaines élections présidentielle et législatives, les dirigeant-e-s qui s’apprêtent à être élu-e-s ont la responsabilité de s’attaquer aux inégalités et de réduire le fossé croissant entre riches et pauvres, en France et dans le monde », dit le communiqué. S'en suivent un ensemble de propositions de mesures concrètes, qui étaient proposées aux candidats aux élections présidentielle et législatives du printemps 2017.

 


Les mesures proposes par Oxfam

  • Mettre en place des politiques publiques plus justes, notamment:
    • ​une imposition des ménages plus juste socialement ;
    • une contribution effective de 0,7 % du budget de l’Etat en faveur de la solidarité internationale pour le développement des pays les plus pauvres.
  • Encadrer et réguler les activités du secteur privé, notamment à travers :
    • la transparence fiscale des multinationales ;
    • une régulation de la spéculation financière.
  • Faire respecter les droits humains, en France comme dans les pays du Sud, notamment à travers:
    • l’obligation pour les multinationales de respecter les droits humains et payer un salaire décent partout dans le monde
    • le respect des droits des femmes.

dividendes.png
Le rapport d'Oxfam analyse en détail l'ensemble des mécanismes à l'œuvre pour produire des inégalités sans cesse croissantes, mécanismes présents dans l'ADN du système économique et des élites qui en sont bénéficiaires et pointe très clairement le rôle des entreprises dans la création de ces inégalités ainsi que le rôle, conscient et organisé, des plus riches.
 

Pour ce qui concerne les entreprises :

  • les politiques systématiques d'optimisation des bénéfices et de distribution de dividendes par une pression sur les salaires (en clair : on baisse les salaires et le gain lié à cette baisse est versé aux actionnaires);
  • l'évasion fiscale grâce à des mécanismes dits "d'optimisation" en organisant la concurrence entre pays ou en disposant de "paradis fiscaux" où sont rapatriés l'essentiel des bénéfices, souvent sous la forme de paiement de droits de marques, de brevets, de royalties ou d'auteur auprès d'une entreprise ad hoc détentitrice de ces droits ;
  • le capitalisme actionnarial que le rapport qualifie "d'outrancier". Ainsi, au Royaume-Uni « la part des bénéfices revenant aux actionnaires sous forme de dividendes,  au lieu d'être réinvestis dans l'activité, est passée de 10 % dans les années 1970 à 70 % aujourd’hui » ;
  • une politique de travail exclusif pour les investisseurs qui ne prend en compte que leurs intérêts particuliers, au détriment de l'intérêt général que représente l'entreprise et sans prendre en compte les intérêts de ses autres composantes ;
  • enfin, un capitalisme de connivence, c'est-à-dire «  des entreprises de tous secteurs (finance, industrie extractive, confection, pharmaceutique et autre) utilisent leur pouvoir démesuré et leur influence pour s'assurer que les réglementations et politiques nationales et internationales sont formulées de manière à soutenir  durablement leur rentabilité ». « Un tel capitalisme de connivence bénéficie aux riches aux dépens du bien commun. Cela implique que les citoyens ordinaires se retrouvent à devoir payer plus pour les biens et les services puisque les prix sont influencés par les cartels et le pouvoir de monopole de certaines entreprises ayant des liens étroits avec les États. Dans ce capitalisme de connivence, les entreprises font également jouer leurs connexions pour influer sur les réglementations fiscales et baisser les impôts, privant ainsi les États d'une part de leurs recettes ». C'est non seulement la description de véritables bombes aspirantes depuis l'ensemble de la population vers une minorité richissime mais, en creux et si on lit entre les lignes, l'organisation très claire d'une corruption d'État au niveau mondial.

Pour ce qui concerne le "rôle des plus riches dans la crise des inégalités"

« Les plus fortunés, définis dans le présent document comme les milliardaires du monde, ont vu un accroissement phénoménal de leur richesse ces 30 dernières années. Les 1 810 milliardaires en dollars figurant sur la liste Forbes en 2016, parmi lesquels 89 % sont des hommes, détiennent 6 500 milliards de dollars, soit autant que les 70 % les plus pauvres de l'humanité » - dit le rapport.

Comment bénéficient-ils du système économique ? 

  • par la rétribution du capital, moyennent différents mécanismes, qui permettent à cette tranche de la population « une augmentation de 11 % par an de sa richesse » (alors que le taux du livret A, qui rémunère le capital des économies des plus modestes, est à 0,75%) ;
  • par l'influence qu'ils peuvent exercer, de manière directe ou indirecte, sur le personnel politique afin de favoriser les lois qui les favorisent et empêcher celles qui tendraient à davantage de redistribution sociale
  • en se soustrayant à l'impôt. « Le FMI constate que les systèmes fiscaux à travers le monde sont de moins en moins progressifs depuis le début des années 1980 ». D'autres mécanismes comme l'exil fiscal, les paradis fiscaux et le secret fiscal sont aussi utilisés. « Une estimation prudente évalue à 7 600 milliards de dollars la fortune privée dissimulée à l'étranger ».
Le rapport détaille ensuite les "idées reçues" (qui sont en réalité des "idées répandues") concernant la main invisible du marché, la nécessité de maximiser les bénéfices des actionnaires, la richesse comme témoin de la réussite individuelle des personnes, le PIB comme objectif des politiques publiques, le caractère démocratique et non sexiste de la croissance du capital, l'inexistence de contraintes sur les ressources de la planète.
Enfin, la quatrième partie du rapport est consacrée à des propositions, difficiles à résumer, que je vous invite à lire directement en téléchargeant ce document d'une très grande richesse.
 
3p-30x27.pngTélécharger le rapport d'Oxfam (58 pages)
Télécharger le résumé du rapport (14 pages)

D'autres billets sur ce thème pourraient également vous intéresser
ou cet article de BFM Business : « Natixis, la banque qui craint une révolte des salariés »
ou celui de l'Observatoire des Inégalités : « La répartition du patrimoine dans le monde »
ou celui du journal Le Parisien « Patrimoine : 8 milliardaires possèdent autant que 3,6 milliards de pauvres » 
ou ceux sur ce même thème dans ce site

 

 

fivestar: 
Aucun vote pour l'instant, soyez le premier.
menu: