Condorcet

Condorcet - Conseils à sa fille

Nicolas_de_Condorcet.PNGCondamné à mort, Nicolas de Condorcet a écrit des conseils pour sa fille, alors petite enfant. Ces conseils, malgré le vocabulaire et le style qui datent l'époque de la rédaction, sont tout à fait d'actualité. Comme beaucoup de ce que Condorcet a écrit ou pensé.
Si je publie, dans ce blog consacré à l'inégalité, ces conseils, c'est parce qu'ils sont tout empreints de cette conviction profonde que les humains sont tous égaux. Lorsqu'il dit à sa fille qu'il convient de secourir les autres, il l'avertit aussi « n'oublie jamais que celui qui reçoit est par la nature l'égal de celui qui donne », une phrase si proche du titre même de ce blog, et que je découvre. En termes d'égalité, et vous le remarquerez en lisant ces conseils, Condorcet aurait tout aussi bien pu donner les mêmes à un fils. Rien dans ce texte ne permet de penser qu'il fait une différence entre les hommes et les femmes, que ce soit par nature ou par rôle social. D'ailleurs, il venait de travailler à une constitution pour la France où il donnait le droit de vote aux femmes (...qui ne l'ont réellement eu qu'en 1945). Cette notion de l'égalité des humains « par la nature » s'oppose en tous points aux conceptions de son époque où, justement, la nature était représentée dans une organisation en forme d'échelle où tout le monde ne se valait pas, à commencer par la femme, classée seconde. Le monde terrestre était conçu selon la hiérarchie céleste, il était conçu sur la base d'une inégalité par essence et par nature entre les êtres.

Sur l'admission des femmes au droit de cité

Nicolas_de_Condorcet.PNGNicolas  de Condorcet a pris des positions sur l'égalité qui allaient à contre-courant de son époque - et qui peuvent sembler anachroniques dans sa position. 
Dans les conseils à sa fille il fournit une des meilleures définitions de l'empathie (sans dire le mot, qui n'existait pas encore) quand il lui parle de « Cette douce sensibilité, qui peut être une source de bonheur, a pour origine première ce sentiment naturel qui nous fait partager la douleur de tout être sensible » et ce "sentiment naturel" est le fondement d'une relation d'égalité entre tous les êtres humains, il le rappelle à sa fille lorsqu'il lui conseille d'être généreuse en lui disant : « n'oublie jamais que celui qui reçoit est par la nature l'égal de celui qui donne ». Il insiste ainsi dans cette égalité par nature, qui n'est pas l'égalité en droits, uniquement en droits, jamais dans les faits, et qui sert de paravent aux inégalités sociales injustifiables autrement que par l'apparence d'une juste place liée aux mérites et aux talents individuels.
C'est toute la discussion de ce texte sur l'admission des femmes au droit de cité, où il réfute les causes individuelles par de subtiles comparaisons entre les incompétences réelles de certains hommes, qui ne les empêchent pas d'exercer des fonctions de pouvoir, et les incapacités supposées des femmes qui légitiment leur exclusion, dans les discours des hommes.
Alors qu'il était établi dans la société de son époque qu'il y avait une différence de nature entre les hommes et les femmes, théorisée en particulier par Rousseau dans L'Émile ou De l'éducation, Condorcet insiste sur les capacités différentes créées par une éducation discriminatoire, voire par l'absence d'accès des femmes à une éducation. Ce sujet sera également au cœur de sa réflexion sur l'école publique.
Son postulat est que l'égalité est le seul ordre naturel. Et il montre paragraphe après paragraphe que l'inégalité est socialement construite. Ce qu'il montre ici pour les femmes peut être étendu, avec le même raisonnement, à toutes les autres inégalités ou discriminations et cela semble être son propos lorsqu'il parle des lois absurdes et barbares du garde des sceaux d’Armenonville.
Ce texte sur l'admission des femmes au droit de cité reste d'actualité plus de 200 ans après avoir été rédigé, y compris parmi nous, dans la France du XXIème siècle, où l'égalité est trop souvent associée à la notion de complémentarité (qui rend la femme toujours seconde) ou à des considérations économiques, lorsqu'on la justifie par sa "rentabilité" en étudiant les effets de la mixité dans les entreprises, comme le montre en particulier Réjane Sénac.