Reconnaître, reproduire, sublimer ou quand l'art fait l'humain

L'humain se raconte des histoires, ses fictions disent et créent le monde, son monde. Autant de perceptions, d'approximations, de déductions par lesquelles il cherche la vérité, dans lesquels il trouve sens. Quand cela a-t-il commencé ?
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Cet article fait suite à "Vers la fin des espèces humaines ?"

Le sens esthétique et symbolique, de l'Australopithèque à nous

Les interrogations sur les capacités cognitives des humains archaïques se sont toujours heurtées à la barrière du classement des espèces. Ainsi, la datation en Espagne de plusieurs sites de grottes ornées manifestant l'existence d'un art néandertalien apparaît comme un coup de bélier dans ce classement puisque, d'un coup, des compétences cognitives jusqu'ici attribuées exclusivement à Homo Sapiens se retrouvent également chez une espèce qui a été présentée comme moins capable intellectuellement. Moins capable pourquoi ? Du fait de son classement en espèce bien plus que du fait des compétences réelles que les archéologues ont mises en évidence au fil du temps, parfaitement synchrones avec celles d'Homo Sapiens.

Si on ne raisonne plus en espèces mais en une humanité qui a présenté une variabilité à la fois dans le temps et dans l'espace, variabilité réduite aujourd'hui mais réelle (taille, envergure physique, adaptations locales à un air raréfié ou à des climats froids, etc.), la question des capacités cognitives se posera de manière très différente. Il ne s'agira plus de définir, à l'intérieur d'une frontière identifiée comme étant le début et la fin de l'espèce étudiée, mais au sein de l'évolution d'une humanité dont les compétences intellectuelles et cognitives ont évolué par accumulation d'expériences et de savoirs, produisant également des adaptations nouvelles, culturelles, cognitives et physiques, au cours du temps.

Ainsi, des phénomènes qui apparaissent comme des curiosités isolées ou qui sont source d'étonnement peuvent être intégrés dans les compétences générales, communes à l'ensemble de l'humanité au cours du temps, dont les manifestations ont été variables selon les lieux et les cultures. Ce peut être le cas pour la capacité d'abstraction et symbolique (et sans aucun doute, dans ce cas, pour le langage).

Le temps est une gomme qui agit sans discernement mais efficacement. Ainsi, nous trouverons aisément des éléments de pensée symbolique pour les temps les plus proches de nous et, au fur et à mesure que nous reculons dans le temps, nous en trouverons de moins en moins. L'érosion, les éléments, le pourrissement, la nature font leur œuvre de recyclage et, plus on remonte loin, moins on trouve d'objets en matière tendre pour ne rencontrer que ceux en pierre, dont la durée d'existence peut se compter en millions d'années, sinon milliards. Les preuves se réduisent et les groupes humains qui n'ont pas, ou peu, utilisé les matières dures, n'ont pas laissé de traces durables. Plus on remonte dans le temps et plus on se trouve confronté à la disparition de ces éléments et à l'absence d'indices. De ce fait, quand on trouve un des éléments, même en petit nombre ou uniques, vieux de plusieurs millions d'années, ils prennent d'autant plus de sens si on les inclut dans cette compétence générale de l'humanité et non dans la recherche de preuves espèce par espèce. Le fait même d'en trouver participe à l'invalidation de la notion d'espèces au sein de l'humanité, c'est-à-dire au présupposé qu'une variabilité physique comporte obligatoirement une distance cognitive infranchissable.

En nous situant dans cette perspective d'une continuité humaine qui s'est progressivement développée par accumulation d'éléments culturels, offrant de nouvelles compétences techniques, agissant elles aussi de manière cumulative sur les moyens de maîtriser son environnement et par conséquent d'offrir de nouveaux marchepieds au raisonnement, à l'apprentissage, au développement intellectuel, alors les éléments du passé prennent sens comme éclairages à la fois des compétences partagées depuis l'émergence de l'espèce humaine et comme indices d'un progrès cumulatif de l'ensemble des groupes humains. Ce ne sont plus des curiosités isolées, mais des confirmations de l'unité humaine et de sa capacité commune à imaginer, appréhender, interpréter et donner du sens.

La masque de Makapansgat

pebblefacesMakapansgat.jpgCette pierre qui nous fait penser à un visage humain, a été trouvée au milieu des ossements d'un.e Australopithèque qui a vécu entre 2.5 et 2.9 millions d'années. Ce n'est pas une sculpture mais une pierre aux formes naturelles qui, par les hasards des mouvements tectoniques, a pris une forme singulière. Nous y reconnaissons un visage et, il y près de trois millions d'années un.e pré-humain.e (mais en fait peut-être déjà un.e humain.e) y a reconnu la même chose. Cela signifie que, fondamentalement, il/elle disposait d'une compétence cognitive qui produisait les mêmes associations que la nôtre 2,5 millions d'années plus tard. Il/elle a été sensible à l'analogie, à la singularité et peut-être à une forme de beauté.

Cet objet l'a suffisamment impressionné.e pour qu'il/elle l'ait ramassé à 30 km de l'endroit où il/elle est mort.e et qu'il/elle l'ait conservé par devers lui/elle jusqu'à son décès à cet endroit (ou que cela ait été intentionnellement déposé avec lui/elle, comme offrande).
 

Le biface

BifaceWestTofts.jpgLe biface est une pierre taillée emblématique. D'une part on ne comprend pas vraiment son usage, si ce n'est peut-être une sorte de couteau-suisse de la préhistoire. En effet, la symétrie n'est nécessaire ni pour couper, ni pour racler, ni pour marteler. D'autre part il a toutes les apparences d'un objet esthétique, il est réalisé avec soin et semble manifester la maîtrise de la technique. À Atapuerca (Burgos, Espagne), dans le site de la Sima de los Huesos qui semble être un lieu de dépôt funéraire datant d'il y a environ 430.000 ans on a trouvé un biface qui « aurait servi d'offrande funéraire », selon cette page de la Wikipedia.

Le biface a été « inventé » en Afrique de l'Ouest par des Homo ergaster. Les plus anciens sont datés à 1,76 millions d'années, sur les rives du lac Turkana au Kenya.

Le biface en illustration ici, dit de West Tofts, du Museum of Archeology and Anthropology de Cambridge, date de seulement 100.000 ans. Il a été taillé par un.e Néandertalien.ne manifestement comme objet d'ornementation en prenant grand soin de tailler autour du coquillage incrusté dans la pierre.

En savoir plus : https://fr.wikipedia.org/wiki/Biface

Le coquillage gravé

gravure-coquillage-500000-ans.jpgC'était il y a 500.000 ans. Quelqu'un.e a gravé un zig-zag sur un coquillage. Si nous ne savons pas dire aujourd'hui ce que cela pouvait bien signifier, nous pouvons dire que cela a été fait intentionnellement et avec dextérité. Comme le dit le site Hominidés, « Cette découverte est très importante car de nombreux psychologues pensent que les gravures géométriques sont une preuve des capacités cognitives évoluées, et que seuls les humains modernes sont sensés avoir de telles capacités cognitives ». À moins que les capacités cognitives évoluées soient la marque même de l'humanité, depuis toujours, ou au moins depuis le masque de Makapansgat. 
Trouvée sur l'île de Java en Indonésie, cette gravure sur coquillage, à cette date, n'a pu être réalisée que par un.e Homo erectus

La Vénus de Berekhat Ram

200px-Venus_of_Berekhat_Ram.jpgUn.e Homo erectus aurait-il/elle pu être le/la premier.e scultpeur/trice identifié.e ? Cette statuette apparemment féminine a été datée à environ 250.000 ans. La forme générale est naturelle mais là aussi un être humain y a vu ce que nous-mêmes identifions au premier regard. À partir de sa première impression, il/elle a volontairement taillé cette pierre afin d'en augmenter la ressemblance avec une femme, notamment en creusant un sillon autour du cou et les bras de la figurine.

 


Davantage sur l'art préhistorique :